La série littéraire

Épisode 1 : Durer.

Écrire une série littéraire est une longue route, une aventure périlleuse, mais aussi merveilleuse et source de plaisirs. Point de conseils ou de cours sur la manière d’écrire, voyons ensemble les défis à relever pour arriver au bout de la route. Et le premier d’entre eux : Durer.

Aujourd’hui, chaque maison d’édition - ou presque - possède sa web série phare (et souvent plusieurs) et surfe sur le concept de séries américaines transposées au domaine littéraire. Ou l’inverse… La recette du feuilleton littéraire ne datant pas d’hier, il connaît avec le numérique une forme de “revival” et je me dis que si Dumas existait aujourd’hui, il écrirait sans doute des histoires de zombies massacrés par des mousquetaires… Du reste et si j’en juge par les ventes de mes propres séries, je dirais que le soufflet n’est pas retombé et que ce format a ses adeptes en dépit de ses défauts. J’imagine donc sans peine que nombre d’auteur.e.s (je déteste écrire autrice, désolé) se disent : moi aussi, je vais écrire une série ! Et donc à tous les motivés tentés par l’aventure, je dis : bienvenue à bord !
L’idée de cette série ( !) d’ articles n’est pas de vous donner des conseils ( je ne me considère pas le mieux place, plein de gens font ça très bien ou demandez à GRRRRR Martin ou JK Rowling, qui sont les maîtres de la série, mais ils prennent plus cher que moi pour des conférences sur leur art…) ; je n’ai pas non plus l’intention de vous dire ce que vous devez faire : suivez votre instinct, votre cœur, c’est peut-être le meilleur conseil que je puisse vous donner.
Comme je le dis souvent : votre histoire, vos règles du jeu.

Ceci étant posé, écrire un roman et écrire une série, ce ne sont pas les mêmes expériences d’écriture. On n’aborde pas forcément la création d’une série avec le même état d’esprit que celle d’un “one-shot” (Ni même - à mon avis - d’une trilogie). Un auteur peut effectivement partir tête baissée dans un roman parce qu’il aura “eu” la vision de l’ensemble de son projet, il l’aura “senti” et, suivant son instinct, il va dérouler l’histoire jusqu’à son terme (ce qu’on appelle le mode jardinier total). Cela peut fonctionner sur une série, mais de façon générale, le mode jardinier total perdure quelques semaines, un peu comme un fixe de scénariste où tout vient s’imbriquer à merveille. À un moment ou un autre, il faut parvenir à négocier l’atterrissage avec son cortège de doutes sur son travail.
Le propre d’une série, c’est de proposer des épisodes et, souvent, des saisons : deux, trois, quatre, etc… Le premier paramètre essentiel est donc celui de la durée : vous travaillerez sur votre série durant des années, avec des hauts et des bas. Vous alternerez donc des phases d’euphorie, d’excitation, de motivation avec des traversées du désert, de la fatigue intellectuelle, éprouver de la lassitude et très certainement : ramer pour boucler un épisode.
Si j’ai souvent entendu et lu que la genèse d’un roman revenait à courir un marathon, celle d’une série consiste à les enchaîner. Même le meilleur sportif au monde ne pourrait accomplir cet exploit. C’est couru d’avance.
La durée de ce genre de projet implique que vous allez vivre avec votre histoire, la tourner dans votre esprit presque en permanence, co-habiter avec vos personnes sur une très longue période (l’avantage c’est que si une personne vous court sur le haricot et vous sort par les trous de nez, c’est plus facile de le tuer dans un épisode… Si, si… C’est même courant.).
Une question à se poser sans doute très vite : êtes-vous prêt à passer (le restant de vos jours… hum) quelques années avec votre histoire ? On parle bien en années. Je travaille sur la série Toxic depuis 2012… Ma consœur et auteure, Cécile Duquenne, travaille sur sa série les Foulards Rouges depuis aussi longtemps (ou plus, elle vient de terminer sa saison 3), et d’autres auteur.e.s triment aussi sur leurs séries. Il me semble important d’avoir en tête cette temporalité et se préparer à ce que certains jours : vous en aurez ras la casquette.

La durée n’a pas que des inconvénients, elle possède de nets avantages et des côtés intéressants – que l’on soit lecteur ou auteur – : la possibilité de développer son Univers, des arcs narratifs secondaires, d’approfondir des personnages, des situations, de pousser des idées jusqu’au bout, de se donner plus de liberté de se promener à l’écart de la trame principale, voire de complexifier l’histoire d’une manière plus “osée” ou “inattendue”.
Cette – relative – liberté est à mon sens l’un des aspects les plus jouissif de la série : puisque nous ne sommes pas finalement limités par le format, on peut prendre le temps de développer, de s’attarder sur un lieu, de préparer le terrain, l’on peut donner une stature de premier plan à un personnage qui était plus en retrait dans une première saison et vice versa ; des personnages peuvent évoluer avec plus de de force (et certains deviennent plus facile à éliminer… Si, si… Puisque je vous le dis !).
Ainsi, faire durer le plaisir me paraît un adage tout à fait adapté à la série littéraire. Et tout être humain que nous sommes, l’on tend à vouloir prolonger le plaisir éprouvé à s’immerger dans certains univers. Prenez Harry Potter : une série / saga en 7 gros volumes et combien de Fan Fictions, ces désirs de s’emparer de l’histoire, de la prolonger ? Des centaines, des milliers ?

Puisque nous évoquons les lecteurs, ces derniers vous mettront une pression supplémentaire : pour eux, une série est un investissement. En temps. Et en argent (acquisition de plusieurs volumes). Il attend en retour de vivre une expérience. Forte, émotionnelle, etc. Lui aussi va consacrer du temps à votre univers avec vos personnages. Il peut mettre une pression supplémentaire pour que vous publiez plus vite les épisodes suivants et attendre beaucoup de la prochaine saison. Les attentes de ce côté peuvent être fortes, les déceptions, grandes aussi.
À contrario, la durée d’une série peut vous permettre d’établir un élément important dans la vie d’un.e auteur.e : une “fan base”. Autrement dit, un socle de lecteurs et de lectrices qui apprécient et relaient votre travail (et vous harcèlent sur les réseaux pour que vous écriviez plus vite). C’est aussi un aspect jouissif de la série. Il se créé alors une sorte de lien à travers votre récit longue durée. Un lien qui ne dure pas que le temps du cycle de vie d’un roman, mais sur plusieurs années. La série peut jouer le rôle de marqueur, au risque de se voir coller une étiquette, mais si vous prenez Asimov : il est surtout connu et reconnu pour son travail sur la série des robots. C’est sa marque.

Enfin, la durée est également un défi pour l’éditeur. Il va y consacrer du temps et des ressources, plus que sur un roman. Ne serait-ce que les corrections… Il abordera forcément votre travail en série avec un œil différent que pour un roman – voir un air horrifié : quoi ?! 12 épisodes ! –. Pourtant, il m’apparaît nécessaire de travailler d’emblée avec un éditeur (ou d’ouvrir votre travail à des alphas lecteurs). Imaginez que vous passiez quatre ou cinq ans à créer votre série et que personne n’en veuille… (Ok, il reste l’auto-édition, ce qui est un cas à part) Marcher main dans la main avec une maison peut enlever un poids L’éditeur voudra évidemment s’assurer que l’auteur.e a les épaules solides, qu’il ou elle peut aller jusqu’au bout de l’aventure et tenir sur la distance (sans claquer en cours de route). La prise de risques n’est pas négligeable et le fait que les séries soient surtout un genre primo-numérique explique sans doute cela. La série peut cependant se révéler un pari gagnant : plusieurs volumes c’est mécaniquement plus de “slots” occupés dans les catalogues en lignes, plus de visibilité, des relances des volumes antérieurs à chaque nouvelle parution, un maintien d’un volume constant sur plusieurs années… Ou perdant.
Après, il n’existe pas de recette du succès : des séries marchent, d’autres pas. En fonction des modes et de l’air du temps. C’est ainsi. Mais un éditeur peut vous aider à y voir plus clair.

La durée représente, à mon sens, le plus grand défi de la série littéraire. Mais je le sens, au fond de vous, vous êtes prêts à passer ce cap, à tenter l’aventure, à braver le temps et l’espace pour créer un univers sur plusieurs épisodes, plusieurs saisons, plusieurs années (jusqu’à la mort ! ;-) ).
Je le répète toutefois : je n’ai pas de conseil à vous offrir (votre histoire, vos règles du jeu). Je suis cependant certain que vous vous posez de nombreuses questions. Je ne prétends pas avoir des réponses, je proposerai donc des pistes de réflexions. Alors, comment durer ?
On en parle dans le prochain article.