La série littéraire

Épisode 2 : S’organiser.

Écrire une série littéraire est une longue route, une aventure périlleuse, mais aussi merveilleuse et source de plaisirs. Point de conseils ou de cours sur la manière d’écrire, voyons ensemble les défis à relever pour arriver au bout de la route. Le second défi : s’organiser.

Pour durer on peut se doper (amphétamines, caféine, nicotine, tous les trucs en “ine”…), se droguer, on peut embaucher des nègres, on peut boire des boissons énergétiques, des trucs plus durs (quoique alcool et littérature ne fassent pas forcément bon ménage) ; je n’ai jamais essayé l’hypnose (ça se tente, cela dit), on peut aussi suivre un entraînement d’acteur de films X (ils ont le même problème que les auteur.e.s finalement, eux aussi ils doivent durer…) mais pour voyager loin, comme l’affirme l’adage, il faut ménager sa monture. Et la monture, le bestiaux, la bête de somme qui porte l’histoire, c’est l’auteur.e.
Vous devez vous ménager. Prendre soin de vous. C’est impératif !
(Là ce n’est pas un conseil, mais un ordre).

Personne ne peut passer plusieurs années enfermées entre quatre murs pour pondre une série en 20 épisodes sans en ressortir avec des séquelles. La durée impose aussi un défi physique et psychologique. Évacuez la pression : par le sport, le massage, le yoga, le shopping, la sieste, la pâtisserie, la pêche, le saut en parachute ou à l’élastique, par ce que vous voudrez. Il arrivera un moment où vous en aurez marre. C’est inévitable.
Ensuite, durer, c’est sans doute s’organiser un peu.

Puisqu’il est très difficile – voire quasi impossible – de créer une série en mode total jardinier (guidé par une main invisible), alors les architectes du récit possèderaient-ils un avantage ? Avec le recul de plusieurs années de travail sur deux séries, mon avis sur la question a évolué. Je dirais que les architectes sont autant handicapés que les jardiniers face au défi de la durée et de l’organisation.
Le but des architectes est de tout prévoir, explorer les possibilités et de tracer un chemin qui sera celui du récit. La première réflexion c’est que la planification sur une telle durée, dans des univers assez complexes, est une aventure plus que délicate (Voyez le Gosplan…) d’autant que l’état d’esprit qui est le vôtre en année N ne seras pas le même en N+2, ni en N+4 (vous pouvez vous marier, devenir papa ou maman de triplés, changer de métier, de ville, d’orientation sexuelle…). C’est d’autant plus vrai que certains éléments se révéleront sans doute durant l’écriture, que vous aurez beau vous astreindre à une discipline de fer, le doute va s’insinuer, et le doute, c’est comme l’eau : elle s’infiltre partout en profitant de la moindre faille, de la plus petite fêlure.

La rédaction même du synopsis détaillé d’une série où l’on pose ce que l’on va raconter représente un petit défi en soi. Comme dans la psycho-histoire d’Asimov (Cycle Fondation : remarquez d’ailleurs le glissement sémantique, cycle  série – à l’époque, série ou feuilleton, ce n’était pas vendeur…–), que l’on s’écarte du plan est inévitable, à mon avis. L’auteur curieux que vous êtes va sans doute flairer de nouvelles possibilités en cours de route, de nouveaux arcs à explorer. Les personnages – dont on dit qu’ils prennent vie durant l’écriture – vont aussi révéler de nouvelles facettes ; vos lecteurs, votre éditeur, vos amis, vous suggérer des évolutions que nous n’auriez pas prévues. Et pour cause, sur un temps si long, il est très compliqué de tout prévoir, de tout imaginer (Bon OK, il y a Nostradamus, mais lui, il n’est pas humain).
Sur un plan psychologique, comment respecter scrupuleusement un plan établi des années en arrière et finalement éprouver le frisson de la nouveauté, de l’exploration ? Sans cette étincelle, comment garder la foi ? la motivation et l’envie alors qu’on ne fait que suivre des rails posés depuis (trop) longtemps, sans surprise ?
Alors, exit l’architecte ?
Exit le jardinier ?

Non, je ne pense pas, sinon personne n’écrirait de série.
À ce sujet d’ailleurs, dans les fameuses séries US, c’est souvent une team de plusieurs auteurs et scénaristes qui combinent leurs idées et leurs efforts pour proposer l’histoire la plus intéressante… En face, un auteur de série littéraire est – le plus souvent – seul devant sa page blanche.
Alors, il faut créer une nouvelle espèce d’auteur.e, un.e super auteur.e doué.e de pouvoirs spéciaux ?
Pas forcément, mais on peut essayer de les hybrider (Mon côté savant fou…). Alors, quel pourcentage de jardinier et d’architecte faut-il mélanger pour obtenir un.e auteur.e de série ?
Comme je le disais : il n’existe pas de recette. Il se peut en revanche que vous le sentiez d’instinct, que vous perceviez le dosage adapté à votre histoire (ce qui impliquerait que vous soyez tombé dans une marmite de potion magique spéciale série… et ça c’est « priceless »).
Toujours avec le recul, je n’imagine pas me lancer dans une série sans un plan ; un plan dont le but n’est pas d’être super bien ficelé et de répondre à toutes les questions ; et pour paraphraser un acteur célèbre : un plan ne se déroule jamais sans accrocs. Ce n’est pas une malédiction : les accrocs, c’est la force créative à l’œuvre sur votre texte, la petite voix qui vous souffle :
« Là, mon coco, il y a un truc à faire…
— Mais ce n’est pas dans le plan !
— Justement.
— Mais, le plan risque de dérailler !
— Wouah ! Frissons garantis pour le lecteur, déraillera, déraillera pas… »

Toute série possède ses codes et des règles (Genre : Hermione ne couchera jamais, ni ne se mariera avec Harry, mais que l’idée que ça puisse produire va « teaser » les lecteurs. Les unir briserait sans doute quelque chose dans l’intérêt de la saga. Ce qui peut donner d’ailleurs des idées de fan fiction…).
Il existe ainsi des bibles (Dans Starwars, c’est même une encyclopédie nommée Holonet). La bible contient trames et personnages, le cheminement des épisodes, sans pour autant les enfermer dans un carcan. Au final, cela ressemble un peu à une sorte de “filon” sinueux, un tracé où place serait laissée aux déraillements, aux accidents ou aux accrocs ; toutes ces choses qu’au démarrage, vous ne pourrez pas anticiper.
De quoi garder la flamme de l’envie intacte et vigoureuse !
La bible a aussi une fonction mémoire. Avec la durée, vous allez oublier des choses qui vous avez écrites il y a un, deux ou trois ans… Vous ne vous en souviendrez pas en détail, parce que les auteurs sont faillibles. Surtout sur les détails. Vous allez douter : Marion aimait-elle vraiment chausser des bottes ? Ce n’était pas plutôt des baskets ? Je ne me souviens plus… (En plus, c’est le genre de truc capable de foutre en l’air la concentration si vous n’arrivez pas à répondre à la question, ça peut devenir vite obsédant.).
Et un classique : ah mince ! J’ai déjà tué ce personnage au deuxième épisode…
A contrario, le lecteur, lui, possède une excellente mémoire, spécialement les (tout) petits trucs… La bible est une façon de procéder pour ne pas devenir chèvre, il en existe sûrement d’autres (base de données, collections de Post-it, carnets, par exemple) et comme je le disais : il n’existe pas de recette, c’est à chacun de se créer la sienne, de se façonner ses outils.
Quoi qu’il arrive, la mémoire est en tout cas un aspect important de la série.

À mon sens, la bible est la première pierre, la fondation de la série. Assez rigide pour soutenir l’édifice, épisode après épisode, étage après étage ; elle doit aussi être assez souple pour résister aux tremblements de terre. La bible va sans doute s’enrichir en chemin : nouveaux personnages, nouveaux arcs narratifs, etc. ; elle vous aidera à faire des choix (pour faire évoluer un personnage, par exemple), à exploiter d’autres ressorts, à rebondir.
La durée et la mémoire imposent aussi un rythme différent : rythme d’écriture, l’importance du premier épisode, le rythme, les temps forts de l’histoire, la façon de clôturer un épisode, une saison…
La série possède une dynamique qui lui est propre.
Ce sera l’objet du prochain article.